Le Parc naturel régional de la Brenne mène d'importants travaux d'inventaires, notamment botaniques pour les diagnostics agricoles qui accompagnent les dossiers des mesures agri-environnementales pour les agriculteurs engagés dans la démarche. Les plantes n'ont pas ou peu de secrets pour les botanistes du Parc. Ce mois-ci, une fois n'est pas coutume, ils vous présentent une espèce de plante qui sait mettre en avant des atouts étonnants pour attirer de petites mouches qui l'aideront à se reproduire. Découvrez un arum, le Gouet tacheté, ravisseur de mouches ou un exemple de l'évolution fascinante des relations plantes-insectes.
La famille des Aracées regroupe à ce jour une centaine de genres et 2 600 espèces de plantes, présentes sur toute la surface du globe, essentiellement dans les zones tropicales et qui sont à quelques exceptions entomophiles*. Afin d'attirer les insectes pour assurer leur reproduction sexuée, les espèces ont développé diverses stratégies allant des relations mutualistes jusqu'à de la tromperie (« la fourberie ! » diraient plutôt certaines mouches). C'est le cas des espèces du genre Arum, dont le Gouet tacheté (Arum maculatum).
C'est une plante commune dans presque toute la France, excepté dans le Midi. La plante est toxique. Elle se développe à l'ombre, dans les forêts humides. Les feuilles en fer de flèche sont parfois tachées de brun ou de noir et apparaissent au printemps. La reproduction sexuée du Gouet tacheté est croisée, une plante ne peut se féconder seule. Elle est pollinisée par de nombreux diptères de petite taille. Ces mouches fréquentent les mêmes sous-bois que le Gouet et pondent dans la matière fécale ou dans des végétaux en décomposition.
Pour attirer et retenir les insectes, ces plantes ont développé des inflorescences singulières, visibles entre avril et mai. Le Gouet ne produit pas une fleur solitaire, comme pourrait le laisser penser une observation rapide, mais une inflorescence avec une feuille modifiée, la spathe et un axe florifère en forme de massue, le spadice, violacé chez le Gouet tacheté. L'axe florifère (partie inférieure du spadice) porte à sa base des fleurs femelles, les fleurs supérieures, stériles étant transformées en poils. Au dessus, sont insérées les fleurs mâles. Un peu plus haut des fleurs mâles stériles sont différenciées en longs poils qui obstruent presque complètement la chambre. Au-dessus de la chambre florale, l'axe florifère se termine par une partie stérile, l'appendice.
Le premier soir de la floraison, l'appendice, en s'échauffant, émet une odeur de matière fécale. Cette odeur attire les mouches en recherche de lieux de ponte. En se posant sur la spathe, ils glissent à l'intérieur de la chambre florale dans laquelle les fleurs femelles sont réceptives. Les poils turgescents ménagent une maille qui laisse entrer les diptères mais leur disposition rend leur sortie de la chambre peu probable. S'ils portent déjà du pollen, ils vont le déposer sur les fleurs femelles et les féconder, en volant à la recherche de la sortie. Afin que les prisonniers restent vivants pour repartir avec le pollen, la chambre florale possède une paroi poreuse qui lui permet de rester aérée et de garder un taux d'humidité adéquat.
Le lendemain, les fleurs mâles, à maturité, libèrent du pollen en grande quantité, couvrant les insectes. Les poils sèchent alors, libérant les moucherons. Ils sont alors prêts à féconder une autre inflorescence, s'ils se font à nouveau capturer. Comment résister à ce doux parfum d'excréments et des végétaux en décomposition !
*L'entomophilie, appelée aussi fécondation entomophile ou entomogamie, est un mode de pollinisation dans lequel des insectes participent au transport du pollen