Les étangs

L'étang, symbole paysager du PNR

Les étangs dans le Parc naturel régional de la Brenne sont un marqueur fort du paysage, et ce depuis le milieu du Moyen Age. Aujourd’hui on dénombre plus de 4 000 plans d'eau dans le PNR, aussi appelé « pays des mille étangs » sur  une surface totale d’eau d’environ de 8 à 10 000 hectares.

Les étangs de Brenne ont été bâtis à partir du milieu du Moyen Age tout particulièrement entre le XIVe et la fin du XVIe siècle dans le but principal d'élever du poisson. Ce mouvement piscicole certainement initié par les élites rurales (seigneuries laïques et ecclésiastiques) est une solution pour mettre en valeur des terrains peu perméables et peu aptes à l'agriculture conventionnelle. Les bâtisseurs de l'époque ont tiré partie du modelé du relief pour barrer des talwegs en érigeant des digues de terre et former ainsi une retenue d'eau stagnante de faible profondeur. La seule partie creusée de l'ouvrage est la pêcherie, au pied de la bonde, où le poisson élevé est pêché lors de la vidange complète de la nappe d'eau. Le phénomène piscicole brennou est en fait carpicole : la carpe danubienne, introduite en France au 13e siécle, est alors de très loin le produit principal des étangs. Parmi ses atouts, citons sa robustesse, notamment au transport, qui permet au pisciculteur d'acheminer le poisson vivant jusqu'à son lieu de consommation, à savoir les centres urbains alors en plein développement. L'élevage de la carpe est parfaitement maitrisé grâce à la pisciculture en étangs spécialisés, laquelle se fonde sur la segmentation géographique des stades de croissance de la carpe (en 3 étangs). Cette méthode connue dès la fin du Moyen Age est toujours pratiquée au 21e siècle. La pisciculture s'est toutefois modernisée au cours du 20e siécle. A partir des années 1970, les étangs en Brenne ont vu leur nombre augmenter de deux tiers, d’une part pour la pisciculture mais aussi pour le loisir (pêche, chasse). Aujourd’hui, sur le territoire du Parc, on compte environ 300 propriétaires d’étangs pour 51 pisciculteurs. La pisciculture s’est aujourd’hui diversifiée, en effet on distingue deux issues pour les poissons produits : l’alimentation avec la carpe et  le repeuplement de rivières avec le brochet, la tanche, la perche, le gardon, ou encore le black bass. 

2022 02 Etang description CENFonctionnement d'un étang, CEN Centre-Val de Loire

Un territoire d'eau

Les étangs de Brenne sont des étangs particuliers, d’une part en raison de leur faible profondeur, d'autre part en raison du système de chaînes d’étangs (étangs se déversant les uns dans les autres et vidangés tous les ans ou tous les deux ans afin de les pêcher). Le façonnement du paysage de la Brenne, que l’on pourrait appeler « un réseau d’eau », a permis de connecter des zones aquatiques (constituées d’eaux stagnantes : mares, étangs, fossés et eaux courantes : rivières, fleuves, ruisseaux) avec des zones humides en périphérie, ces dernières s’identifient d’un point de vue botanique et/ou pédologique. Ce maillage d’habitat est à l’origine d’un enrichissement de la biodiversité. De par sa grande richesse écologique la majorité du Parc a été classée zone humide d’intérêt international au titre de la convention RAMSAR (1991), et 4 sites sont classés Natura 2000.

 

Impacts du changement climatique:

Aujourd’hui ces zones humides et aquatiques si importantes pour l’identité paysagère de la Brenne risquent d’être fortement impactées par les changements climatiques, et plusieurs questions se posent : comment préserver la richesse paysagère actuelle, ainsi que la biodiversité associée ? Quel avenir pour la pisciculture ?

Chaque étang est "unique" en fonction de sa taille, de sa profondeur moyenne, de sa profondeur à la bonde, de son bassin versant, de sa position dans la chaine, du substrat sur lequel il se trouve (argile, grès, sable, marne...), et des pratiques qui lui sont appliquées. Toutes ces caractéristiques de l'étang ainsi que le chargement en poissons de l'étang influencent ainsi la végétation ainsi que la concentration en nutriments de l'eau des étangs. Chaque étang réagira alors de différentes façons aux changements à venir.

2019 sécheresse Aurore

  • L'évaporation

L’évaporation de l’eau d’un étang dépend de multiples facteurs : la température atmosphérique, la faible humidité relative, la quantité de vent ainsi que l’ensoleillement. Dans la cadre du changement climatique, on a connaissance d’une augmentation de la température (d’environ +1.6°C pour la période 2041/2070 par rapport à la période 1976/2055 selon le scénario d'émissions RCP 4.5, DRIAS) ainsi que de l’augmentation de journées chaudes (+29 selon le scénario d'émissions RCP 4.5, DRIAS). Ces deux effets combinés vont ainsi augmenter l’évaporation de l’eau des étangs.  De plus par leur topographie (faible profondeur), les étangs de Brenne  se réchaufferont plus vite et l’augmentation de la température de l’eau est une fonction croissante du taux d’évaporation. Peu d’études ont été menées afin de connaître la quantité d’eau évaporée par les étangs. Selon l’OFB elle est de « de 0.5 l/s/ha de mai à septembre, durant 10h par jour ». L’EPTB Vienne mène une étude sur le territoire SAGE Creuse afin de connaître la quantité d’eau « utilisée » sur tout le territoire et de faire une modélisation des usages en 2050 en fonction du modèle climatique CNRM-CM5-LR / ALADIN63 avec le scénario RCP 4.5. Selon cette étude la surévaporation des plans d’eau (évaporation auquelle on soustrait l'évapotranspiration) augmentera en moyenne de 35 à 40 % sur le territoire du Parc en 2050 par rapport à la période 2000/2019.

 Rives desséchées d'un étang lors de la sécheresse de 2019 : Aurore Coignet,
chargée de mission au PNR, montre l'étendue des dégats, La Nouvelle République

 

  • La concentration en oxygène

L’oxygène présent dans l’eau est appelé oxygène dissous, il provient de deux sources différentes : les échanges atmosphériques et la photosynthèse réalisée par les plantes aquatiques. Sa concentration dépend de plusieurs facteurs : la température de l’eau, la pression atmosphérique ou encore la concentration en nutriments de l’eau. Dans le cas où l’eau viendrait à s’évaporer et à se réchauffer, et où ainsi une diminution de l'oxygène dissous dans l'eau aurait lieu, tout l’écosystème deviendrait perturbé. En effet, la concentration de cet élément est un des facteurs déterminant à la vie des espèces dans les étangs. Plus cette concentration devient faible plus le milieu s’appauvrit. Les premiers organismes touchés sont les poissons très sensibles aux variations d’oxygène, parmi ceux-ci les carnassiers semblent être les premiers à pâtir du manque d’oxygène dissous.

Un taux de chargement en poissons trop important en fonction du volume d'eau sera nuisible pour la vie de ceux-ci car la disponibilité en oxygène se fera de plus en plus rare, indispensable à la survie de ces organismes. La diminution de la dilution des éléments nutritifs tels que l’azote ou encore le phosphore sera favorable à certaines plantes comme la lentille d’eau ou à certaines cyanobactéries ayant plus de facilité à coloniser un milieu riche, mais pauvre en oxygène,  et qui se développera au détriment des autres plantes autochtones. Les étangs possèdent un équilibre biologique et chimique, et si une composante de cet équilibre change, le réseau trophique se modifie, entraînant de possibles conditions d’asphyxie du milieu par eutrophisation. L'eutrophisation du milieu se caractérise par une augmentation de la quantité de matière organique dans l’étang qui va induire une demande plus forte en oxygène par les bactéries afin de la décomposer. Cette surconsommation d'oxygène entraînera l'anoxie de l'étang. Ce phénomène est déjà présent en Brenne, mais un réchauffement plus important de l'eau couplé à une production piscicole intensive va accentuer grandement les risques d'eutrophisation du milieu. 

  • Impacts sur la biodiversité

Une modification de l’habitat "étang" causé par une diminution de la hauteur d’eau aura un impact direct sur la biodiversité associée aux étangs. Cet impact sera d'autant plus important associé à la gestion piscicole des étangs (chargement en poisson, préservation de la végétation, turbidité de l'eau...). En effet avec une diminution des hauteurs d'eau les habitats propices au maintien des populations d'amphibiens, d’avifaune ou encore d'odonates, se feront de plus en plus rares. On peut imaginer une adaptation plus rapide pour la faune que pour la flore grâce à leur capacité de déplacement, mais dans ce cas la conservation d'un nombre suffisant d'habitats favorables est primordiale afin d'optimiser les chances de conservation de cette biodiversité. Un assèchement partiel ou total de l’étang va impacter les aires de reproduction des espèces ainsi que  la disponibilité en ressource alimentaire indispensable à leur survie.

Par ailleurs, selon une étude sur l'écrevisse de Louisianne (Dayde Jeremy, 2016, Suivi de l’écrevisse de Louisiane, Procambarus clarkii, dans l’embouchure du Fangu (Corse) et propositions de gestion) nous avons pu remarquer que celles-ci seraient favorables à une augmentation de la température de l’eau. En effet elle est capable d'évoluer dans des eaux de 10 à 41°C. On pourrait alors envisager une augmentation des populations d’écrevisses, et l'impact déjà problématique aujourd'hui serait multiplié.

L’écosystème des étangs est très complexe, de nombreuses espèces aussi bien animales que végétales dépendent de cet habitat et si un seul paramètre est déréglé de nombreux autres impacts se feront ressentir.

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